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Les menaces du RN sur la liberté académique et l’ESR

Communiqué du 26 juin 2024 du Conseil d’administration de l’Association Française de Science Politique relatif aux élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024.

La décision du Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale parachève un long processus qui aura conduit le Rassemblement national (RN) aux portes du pouvoir. Imaginons un seul instant ce que représenterait l’arrivée du RN à Matignon pour l’enseignement supérieur et la recherche. Imaginons car, en la matière, les idées du RN sont quasi inexistantes. L’université ne figure nulle part dans le programme présidentiel de Marine Le Pen de 2022. Il y est certes précisé que la candidate entend « restaurer [le] système éducatif pour qu’il retrouve sa mission de transmission des savoirs », mais ses propositions (« rétablir l’autorité de l’institution scolaire », « supprimer la bureaucratie de l’Éducation nationale », etc.) sont réservées à l’école. L’université ne figure pas davantage dans les « livrets thématiques » que propose le RN sur son site internet, et elle est tout aussi absente des premières mesures programmatiques annoncées par Jordan Bardella dans la perspective des élections législatives. Voici donc un parti qui prétend bientôt exercer le pouvoir sans même avoir le début d’un projet pour l’enseignement supérieur et la recherche. Mais à bien écouter le discours des responsables lepénistes, on devine aisément quel sort serait réservé à l’ESR.

La plupart des orientations politiques du RN contredisent les principes et les valeurs de notre régime républicain – à commencer par « la préférence nationale », qui touchera de plein fouet les personnels et les étudiant.es internationaux, qu’il s’agisse pour ces dernier.es des frais d’inscription, de l’aide au logement, de l’accès au Crous ou de l’accès à l’enseignement supérieur tout court. La France s’honore d’en recevoir plus de 400 000 chaque année, prouvant l’attractivité de ses institutions universitaires. Accueillir des étudiant.es internationaux permet d’établir par la suite des partenariats dans le domaine de la recherche, du savoir, de la culture, des entreprises. Nos collègues d’origine étrangère ou ayant la double nationalité risquent eux aussi d’être des victimes directes de « la préférence nationale ». Un protectionnisme académique signifierait une dégradation irrémédiable de l’enseignement et de la recherche en même temps qu’une mise au ban de la France par ses partenaires académiques. Elle s’appauvrirait aux niveaux éthique, scientifique, pédagogique et culturel.

Par ailleurs, ne nous leurrons pas : l’avènement du RN ouvrirait la voie à un régime illibéral, autrement dit privatif des libertés fondamentales, dont la liberté académique. La porte d’entrée pour soumettre l’université au joug autoritaire du RN est à ce titre toute trouvée : le « poison wokiste » qui menacerait la civilisation en général et gangrénerait l’université en particulier, et contre lequel le RN a constitué en avril 2023 une association parlementaire qui entend l’éradiquer. Celle-ci aspire notamment à supprimer les « subventions publiques à des organisations ouvertement wokistes », créer des « groupes de vigilance » et des « associations dans tous les domaines de la vie publique où sévit le wokisme : école, bibliothèques, arts (cinéma, théâtre, littérature, etc.) », ou encore mettre sur pied une « plateforme Internet anti-wokiste ». Le wokisme n’étant jamais défini, on pressent qu’il pourra s’appliquer à peu près à toute production académique – article, ouvrage, colloque, programme de recherche… – non conforme aux idées du RN, mais également à tout enseignant.e ou chercheur.e refusant de se mettre en conformité avec ces idées. Et que dire des « théories du genre » fustigées par Jordan Bardella dans Valeurs actuelles, celui-là même qui applaudissait l’initiative de Frédérique Vidal de lancer une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’Université ? Qu’adviendra-t-il dès lors du droit d’enseigner et de mener des recherches en toute indépendance, pour reprendre la définition élémentaire de la liberté académique ?

Partout menacée dans le monde et en Europe, à l’exemple de la Hongrie qui nous donne déjà un aperçu de ce que deviennent l’enseignement et la recherche dans un pays dirigé par l’extrême droite, cette liberté académique sera réduite à peau de chagrin avec l’arrivée du RN au pouvoir. L’heure est donc grave, et le danger imminent.

Fidèle à sa vocation, promouvoir la recherche française en science politique et défendre l’autonomie des savoirs scientifiques, tout comme les enseignant.es/chercheur.es subissant des violences dans le cadre d’atteintes à la liberté académique, l’AFSP appelle à se mobiliser contre le RN et à lui faire barrage dans les urnes, les 30 juin et 7 juillet prochains.

Paris, le 26 juin 2024

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Statement by the French Association of Political Science (AFSP) Council members on the June 30 and July 7 snap legislative elections in France

The decision of the President of the Republic to dissolve the French parliament concludes a long political cycle that has brought the Rassemblement National (RN) to the doorstep of power. Let us consider the potential impacts on education and research if the next Prime Minister were to be a representative from the RN. This endeavor entails a fair bit of speculation because RN’s agenda for higher education institutions (HEIs) is ill-defined, if not non-existent. References to universities are indeed missing from the manifesto released by RN’s presidential candidate Marine Le Pen. While the document states that the RN aims at “revitalizing the education system to fulfill its core mission of imparting knowledge,” her policy program only discusses primary and secondary education. RN’s “thematic booklets” on its website as well as campaign promises by its president Jordan Bardella are also silent regarding any possible reforms in higher education. However, a careful analysis of the messages from RN leaders reveals the party’s true intentions for HEI.

Most of RN’s public standings contradict the principles and values of the French republican system. For instance, RN’s flagship ideological stand, the so-called “national preference” (i.e. prioritizing government spending for the benefit of French nationals) would severely impact international students as well as non-French faculty and staff, preventing them from accessing affordable education, housing assistance and subsidized canteen food (similar to US food stamps). France is proud to welcome over 400,000 international students every year, demonstrating the academic excellence and attractiveness of its HEIs. Our intake of international students is a prerequisite for the strengthening of scientific collaboration, knowledge-production, cultural exchanges and commercial ties. Faculty colleagues of foreign origin (or with dual citizenship) are also at risk of becoming victims of RN’s “national preference.” The advent of RN’s academic protectionism entails an irreparable deterioration of the quality of teaching and research in our country, as well as an increased academic ostracization of French HEIs. It would impoverish France ethically, scientifically, pedagogically and culturally.

Make no mistake: the rising political fortunes of the RN will indubitably pave the way for a more illiberal France, where fundamental freedoms, including academic freedom are no longer safeguarded. The word “woke” will be mobilized by the party to target students and colleagues while imposing its authoritarian yoke. The RN, which recently created a “parliamentary association against wokism,” will fiercely argue that the wokist “poison” infiltrates university spaces and threatens civilization at large. It will do so in order to curtail our academic freedoms. The association’s avowed program is to eliminate “public subsidies to openly wokist organisations,” set-up an “anti-workist internet platform,” and create “watchdogs” and lobbies wherever wokism is rife: schools, libraries, the arts (cinema, theater, literature, etc.). As wokism is never clearly defined, we can foresee it being attached to numerous academic venues and outputs—journal articles, books, colloquiums, research programs—that do not align with RN’s ideas. Gender studies will be among the first victims of Rassemblement National’s higher education policy. Jordan Bardella vilified in extreme-right magazine Valeurs Actuelles “gender theories,” while simultaneously praising the former Minister of Higher Education’s decision to investigate cases of so-called “Islamo-leftism” (a putative alliance between Islamism and extreme-leftism in university campuses). Given the deep-rooted antagonism of the RN towards academia in its current form, it is critical to consider what will remain of our freedom to pursue independent research.

Academic freedom is under threat around the world and in Europe, as clearly demonstrated by the case of Hungary, which offers a preview of how teaching and research are impacted in a country governed by the far right. With the inexorable rise of the RN to power, academic freedoms will be greatly diminished, signaling a serious and imminent danger to all of us.

The AFSP is true to its mission of promoting French research in political science, defending independent knowledge production, as well as supporting scholars who face violence in the context of attacks on academic freedom. In line with these values, our appeal seeks to mobilize electorally against the Rassemblement National on June 30 and July 7. Defeat the RN at the ballot box.

Paris, June 26, 2024

(Photo : AdobeStock)