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SG 01

Contrainte et capital : les modalités contemporaines de l’accumulation coercitive

Capital and Coercion: Contemporary Forms of Coercive Accumulation

Section du Groupe de recherche Capital, Coercition, Prédation

Responsables scientifiques :

Laurent Gayer (CNRS/CERI-Sciences Po) laurent.gayer@sciencespo.fr
Sophie Russo (CERI-Sciences Po) sophie.russo@sciencespo.fr

Au cours des dernières décennies, la sociologie du capitalisme n’a eu de cesse de s’interroger sur la fabrique du consentement au modèle économique dominant, en tenant pour acquis le triomphe des dispositifs « hégémoniques » sur leurs variantes « despotiques », que ce soit dans le monde du travail (Burawoy 1979) ou à l’échelle de la société dans son ensemble (Boltanski & Chiapello 1999). Des pragmatistes aux marxistes politiques (Meiksins Wood 2007), un large consensus s’est imposé autour de la dévaluation de la coercition extra-économique dans les sociétés capitalistes avancées, au profit de la « contrainte muette des rapports économiques » (Marx 1993 [1867] : 829).

Rompant avec cette perspective, un certain nombre de sociologues, d’anthropologues et d’historiens redécouvrent depuis quelques années les pratiques coercitives et prédatrices inhérentes à la dynamique du capitalisme, bien au-delà des phases d’accumulation primitive du capital. Les entreprises d’accaparement de terrains, en lien à des projets immobiliers, agroindustriels ou extractifs, tout comme les grandes firmes industrielles, n’ont cessé de s’appuyer sur des supplétifs controversés (Norwood 2003 ; Smith 2003 ; Milan & Saluppo 2021). S’évertuant à faire de l’ordre avec du désordre, elles ont puisé dans les ressources humaines et logistiques de la pègre, des organisations paramilitaires et des milices armées du moment, tout en jouant un rôle de premier plan dans l’émergence de la sécurité privée. Loin d’avoir été remisés au passé, ces auxiliaires de la domination patronale n’ont cessé de se réinventer, en même temps que les pratiques productives et extractives du capitalisme lui-même.

A partir d’une série d’études de cas, cette session de groupe se propose de revisiter le recours à la contrainte, sous toutes ses formes, dans la reproduction du capitalisme. Les communications aborderont les questions suivantes : de quel ordre de faits économiques et sociaux s’agit-il de se saisir en replaçant la coercition au cœur de l’accumulation capitaliste ? Du recours à la force physique ? De l’« enchevêtrement du droit et des armes » (Taussig 2003: 92) ? De la marchandisation de la sécurité autour d’« entrepreneurs de violence » (Blok 1974 ; Volkov 2002) ? Certaines formes de capitalisme (industriel, agraire, financier, marchand…) sont-elles plus enclines aux pratiques d’accumulation coercitive que d’autres ? Faut-il voir dans les transformations en cours le symptôme d’un affaiblissement des mécanismes de régulation étatique ou, au contraire, le signe de leur réinvention, à travers des processus inédits de contrôle, de surveillance et, in fine, de production de sécurité (Amicelle 2021 ; Gros 2019) ?

Cette section se déroulera en deux temps. La première session sera consacrée aux contraintes physiques, administratives et juridiques exercées sur les travailleurs, à des fins d’extraction de la plus value, de stabilisation de la main d’œuvre et d’endiguement des mobilisations syndicales. L’exercice de la contrainte est-il pour autant exclusif du consentement des travailleurs à leur domination ? En outre, quelles sont les marges de manœuvre des populations ouvrières face aux dispositifs coercitifs de mise au travail ?

La seconde session abordera les conflits d’usage et d’appropriation autour des ressources foncières. Il s’agira notamment de revisiter le concept marxiste d’accumulation à l’aune des luttes sociales et environnementales ancrées dans la terre.

A travers ce tour d’horizon des formes contemporaines d’accumulation coercitive, il s’agira de faire dialoguer les cas d’étude français et européens avec des situations plus distantes, tant pour désexceptionnaliser les Suds que pour retrouver la part d’ombre inhérente à la fabrique de l’ordre économique dans les sociétés présumées plus pacifiées du Nord.

 

Over the last few decades, the sociology of capitalism has been primarily concerned with the production of consent to the dominant economic model, taking for granted the triumph of ‘hegemonic’ labour and accumulation regimes over their ‘despotic’ variants (Burawoy 1979; Boltanski & Chiapello 1999). From pragmatists to political Marxists (Meiksins Wood 2007), a broad consensus has emerged around the devaluation of extra-economic coercion in advanced capitalist societies, in favour of the ‘mute compulsion of economic relations’ (Marx 1993 [1867]: 829).

Moving away from this perspective, a number of sociologists, anthropologists and historians have in recent years been rediscovering the coercive and predatory practices inherent in the dynamics of capitalism, well beyond the phases of primitive capital accumulation. Both landowning elites and industrial firms have never ceased to rely on controversial auxiliaries (Norwood 2003; Smith 2003; Milan & Saluppo 2021). Striving to create order out of disorder, they have drawn on the human and material resources of the underworld, paramilitary organisations and armed militias of the day, while playing a leading role in the emergence of private security.

Far from being consigned to the past, these henchmen of capital have constantly reinvented themselves, along with the productive and extractive practices of capitalism itself. The aim of this group section will be to identify contemporary manifestations of the phenomenon and to reflect upon the resurgence of predation in the global economy. Papers will address the following questions: what kind of social phenomena and economic processes are we dealing with, here? The use of physical force? The ‘interweaving of arms and law’ (Taussig 2003: 92)? The commodification of security around ‘violent entrepreneurs’ (Blok 1974; Volkov 2002)? Are certain forms of capitalism more prone to coercive accumulation than others? Is the resurgence of predation as a global concern a sign of weakening state regulations or, on the contrary, of their reinvention, through new processes of control and surveillance? (Amicelle 2021; Gros 2019)

This section will be divided into two parts. The first session will be devoted to the physical, administrative and legal constraints exerted on workers, with a view to extracting surplus value, fixing the workforce and containing labour mobilisations. But does the use of coercion necessarily exclude that workers consent to their domination? Besides, what are the margins of manoeuver for workers under such coercive labour regimes?

The second session will look at conflicts over the use and appropriation of land resources. The Marxist concept of accumulation will be revisited in the light of social and environmental struggles rooted in the land.

Through this overview of contemporary forms of coercive accumulation, the aim of this group section is to bring French and European case studies into a conversation with more distant situations, both to de-exceptionalise the South and to rediscover the dark side of economic order in the presumably more pacified societies of the North.

 

REFERENCES 

Amicelle, Anthony (2021). « Policing & big data : La mise en algorithmes d’une politique internationale », Critique internationale, n° 92, p. 23-48.

Blok, Anton (1974). The Mafia of a Sicilian Village, 1860-1960. A Study of Violent Peasant Entrepreneurs, New York, Harper & Row.

Boltanski, Luc & Chiapello, Eve (1999). Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.

Burawoy, Michael (1979). Manufacturing Consent. Changes in the Labour Process Under Monopoly Capitalism, Chicago, University of Chicago Press.

Gros, Frédéric. The Security Principle. From Serenity to Regulation. New York, Verso Books.

Marx, Karl (1993) [1867]. Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre premier : le procès de production du capital, Paris, Quadrige/PUF.

Meiksins Wood, Ellen (2009). L’Origine du capitalisme, Paris, Lux Éditeur.

Millan, Matteo & Saluppo, Alessandro (dir.) (2021). Corporate Policing, Yellow Unionism, and Strikebreaking, 1890-1930, Milton Park, Routledge, 2021.

Norwood, Stephen H. (2002). Strikebreaking and Intimidation. Mercenaries and Masculinity in Twentieth-Century America, Chapel Hill & Londres, The University of North Carolina Press.

Smith, Robert Michael (2003). From Blackjacks to Briefcases. A History of Commercialized Strikebreaking and Unionbusting in the United States, Athens, Ohio University Press, 2003.

Taussig, Michael (2003). Law in a Lawless Land. Diary of a Limpieza in Colombia, Chicago, University of Chicago Press.

Volkov, Vadim (2002). Violent Entrepreneurs. The Use of Force in the Making of Russian Capitalism, Ithaca, Cornell University Press.

Session 1 / Au travail ! Contraintes laborieuses et réponses ouvrières
Présidente : Sophie Russo (CERI-Sciences Po)

Lucas Puygrenier (CERI-Sciences Po), Les ressorts légaux de l’accumulation coercitive : le recours à la main-d’œuvre étrangère à Malte ou l’invention d’un travail illibéral

Benjamin Lévy (Université Grenoble Alpes), L’articulation de la chaîne de valeur et de la violence : le cas des plantations agricoles du nord-est de la Colombie (1987-2006)

Léa Lebeaupin-Salamon (Université Paris 3), Consentir ou résister à l’emprise de l’industrie minière ? Questionner les réponses aux pratiques coercitives de Vale dans le Minas Gerais (Brésil)

Session 2 / Les différends de la terre : luttes sociales et conflits agraires
Président : Jacobo Grajales (Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne)

Paul Grassin (FNRS), Crise écologique et maintien de l’ordre agroindustriel en France : Une approche localisée des conflits environnementaux

Emmanuelle Veuillet (Université Paris 1), Pérenniser un régime d’accumulation contesté : recompositions de l’économie du bétail en Équatoria-Occidental, Soudan du Sud

AMICELLE Anthony amicelle@sciencespobordeaux.fr

GAYER Laurent laurent.gayer@sciencespo.fr

GRAJALES Jacobo jacobo.grajales@univ-paris1.fr

GRASSIN Paul paul.grassin@protonmail.com

LEBEAUPIN-SALAMON Léa lea.lebeaupin@sorbonne-nouvelle.fr

PUYGRENIER Lucas lucas.puygrenier@sciencespo.fr

RUSSO Sophie sophie.russo@sciencespo.fr

VEUILLET Emmanuelle emmanuelle.veuillet@tutanota.com